lundi 10 juin 2013

51 - Eloge du vice


Chère cousine,

Vous n'ignorez pas que je suis un garçon honnête, ami des arts, frère des hommes, fervent chrétien. Je vous sais femme de bien, cultivée, fortunée, vertueuse. Nous avons en commun le souci de redresser les torts de nos semblables moins bien nantis que nous ainsi qu'un ardent désir de justice, de beauté, de vérité... En conséquence, agréez de tout coeur les hautes vues que je vais vous dévoiler.

Partagez donc ma nouvelle lubie. Esprit curieux, critique, vous ne craindrez point de porter atteinte à vos convictions au nom du triomphe de la sainte vérité, ce triomphe fût-il obtenu au prix des larmes de nos sujets d'étude : nos semblables. Ces gens sans fortune sur qui nous daignons abaisser nos regards.

Soucieux d'égalité entre les êtres, préoccupé d'équité, tourmenté par l'idée de rapprocher les hommes les uns des autres, je me suis surpris à prendre en pitié tous les exclus : simples besogneux, racailles en tous genres, repris de justice, maquerelles, prostituées de bas étage, commis d'écurie, valetaille, manoeuvres, travailleurs de force, sans particule, miséreux de tous bords, vagabonds, bandits... Bref, tous ces gens de peu qui constituent la roture.

Rétablissons l'honneur de cette vile espèce, faisons-nous les chantres de sa cause afin que plus jamais les honnêtes gens n'en fassent leur bouc-émissaire. Que les bandits, les forçats, les gueux, les catins, les valets, enfin les pires criminels qui soient en ce monde, expriment enfin leur dignité et aient leur couronne, leur blason. Et que l'on porte haut leurs couleurs !

J'ai songé à une sorte d'académie dédiée à la race vile où tous ses membres pourraient jouir de la reconnaissance de leurs pairs, et surtout de la considération des honnêtes gens que nous sommes vous et moi. Il faut des droits nouveaux pour ces êtres-là, même si à nos yeux ils sont déchus.

Dans un souci de solidarité vis-à-vis de la piétaille honnie, l'on pourrait également convertir les gens de bien à la raison et aux intérêts de ceux que je veux aider ici. Quels meilleurs drapeaux, quels plus éloquents porte-parole de la cause que des belles gens adoptant, par pure solidarité, les moeurs de ceux qu'ils ont toujours injustement combattus au cours des siècles ?

Il faut répandre ces idées nobles parmi la bonne société, persuader les meilleurs éléments de cette humanité choisie à se ranger à ces vues révolutionnaires. Soyez du combat ma cousine. Unissez-vous à moi pour mener à bien ces desseins justes.

Secondez-moi, répandez ces idées nouvelles. Aidez les exclus, les damnés de la terre. Au nom de ceux-là, allez pervertir l'innocence, allez souiller l'honnêteté, allez avilir la beauté.

Répandons des idées de débauche parmi les vierges de bonne famille, montrons-leur l'exemple sans craindre de s'investir dans la pratique. Enseignons aux pucelles des couvents les pratiques charnelles les plus éhontées. Bref, incitons toutes ces timides au crime !

Apprenons-leur aussi le commerce, le travail manuel, la filouterie, la besogne du palefrenier, le vice et le goût de la bassesse. Soyons solidaires, fraternels, unis ! Volons, buvons, ripaillons, copulons, forniquons, "luxurions", sodomisons, commerçons, trompons, blasphémons et péchons encore !

Bref, encensons les bandits, pervertissons les jeunes filles vertueuses. Le progrès des coeurs est à ce prix. A l'instar du Christ qui n'hésitait pas à se compromettre en s'affichant avec la lie de l'humanité pour la sauver, mêlons-nous à la plèbe pour la mieux comprendre, la mieux aimer.

Salissez votre blanche réputation, faites-vous martyre pour la justice. Par bonté, imitons ces gens que nous avons toujours haïs : nos frères ! A l'heure où certains, se ralliant à quelque minorité oppressée arborent des brassards aux couleurs vives des vérités faciles, au nom de la cause indéfendable agitons notre noir drapeau !

VOIR LA VIDEO :

http://www.dailymotion.com/video/xuk84i_eloge-du-vice-raphael-zacharie-de-izarra_news

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire